Corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble que ce qui caractérise l’autodidacte, c’est son envie d’apprendre à jouer rapidement. On entend très souvent les adolescents dire qu’ils veulent apprendre la musique « mais sans faire de solfège », par exemple. Quoique l’impatience est parfois une vertu, en l’occurrence elle me semble dangereuse. Certes, pour une grande partie de ces musiciens, apprendre rapidement permet d’atteindre un résultat convainquant, et ils auront effectivement évité un long détour. Mais celui qui souhaitera réellement progresser après quelques années de cette méthode se retrouvera nécessairement bloqué, à moins d’être aidé par un musicien meilleur que lui ou de faire une réflexion similaire à celle qui suit.
Une fois les bases « acquises », lorsqu’il s’intéressera à des morceaux plus difficiles, l’autodidacte les apprendra en effet comme il l’a toujours fait, rapidement, en voulant reproduire au plus vite ce qu’il a entendu et qui lui a plu, et en brûlant des étapes telles que le placement rythmique, la compréhension théorique ou le toucher, par exemple. Une fois un nouveau morceau appris, il l’intègrera à son répertoire, le jouera régulièrement comme il l’a appris, c’est-à-dire pas aussi proprement qu’il faudrait, et, puisqu’il aura l’impression de jouer un morceau de niveau intermédiaire, par exemple, il pensera que tel est effectivement son niveau.
Or, à l’autre extrême, si l’enseignement classique passe tant de temps sur les bases et qu’il produit de façon si régulière des virtuoses, c’est que bien qu’ennuyeux en apparence il est une meilleure manière de faire. Alors certes, il existe aussi d’excellents musiciens autodidactes. Mais combien de mauvais autodidactes chacun de ces derniers cache-t-il ? Et peut-on vraiment les considérer comme des autodidactes au sens que l’on entend aujourd’hui, quand on sait que dans le milieu du jazz, par exemple, on apprenait systématiquement au contact de meilleurs musiciens que soi, dans les clubs, chose aujourd’hui perdue et que même les écoles de musique peinent à recréer ? En apprenant sur YouTube on perd cette supervision, ces conseils précieux, et il est extrêmement difficile de réinventer la roue tout seul, surtout pour quelqu’un, comme on l’a vu, d’impatient.
Ainsi je dirai que les meilleurs exercices pour un autodidacte ne sont pas des morceaux avancés mais le travail des bases, sans tension aucune, sans empressement, accompagné d’un bon professeur. Pour l’avoir fait récemment en raison d’une blessure engendrée par des mauvaises habitudes poussées à l’extrême, j’ai remarqué très rapidement une fluidité nouvelle dans mon jeu. Et à présent, au lieu d’être impressionné par certaines prouesses techniques en me disant : « Mon Dieu, quelle concentration surhumaine faut-il avoir pour jouer un plan aussi compliqué sans erreur et aussi proprement ! », j’ai compris que ces plans sont tout à fait à ma portée si je prends le temps de construire lentement et progressivement mon jeu.