Parmi les standards que l’on apprend quand on débute le jazz, on trouve Tune Up ou Solar de Miles Davis, Blue Bossa, mais aussi Les Feuilles Mortes, plus connu sous le nom de Autumn Leaves dans le milieu jazz international.

Ces morceaux offrent au débutant des suites d’accords dont la difficulté est abordable, relativement parlant. Il ne viendrait à personne l’idée de commencer par Giant Steps

Mais, malgré cette simplicité apparente, il y a deux détails des Feuilles Mortes qui méritent une attention particulière. Ce n’est pas parce que l’on joue un morceau “simple” qu’il faut jouer en pilote automatique !

La grille

Le format du morceau est AAB.

Partie A :

Dm7   G7 Cmaj7 Fmaj7
Bm7b5 E7 Am6   %

Partie B :

Bm7b5 E7 Am6   %
Dm7   G7 Cmaj7 Fmaj7
Bm7b5 E7 Am7   Gm7 / C7
Bm7b5 E7 Am6   %

Accords m9 plutôt que m7

Une tendance du musicien qui apprend le jazz est d’enrichir peu à peu ses accords. Quand commence à maîtriser les accords avec septième, on met alors la neuvième. Ces accords sont délicieux et il est difficile de s’en passer !

C’est d’ailleurs une habitude des bons joueurs de jazz de jouer Dm9 alors qu’ils lisent Dm7, Cmaj9 pour Cmaj7, ou G13 alors qu’ils lisent G7. Ces accords sont équivalents, et cela fonctionne, dans la plupart des cas.

Mais Autumn Leaves, dès la première mesure, nous tend un piège très intéressant. La suite d’accords en elle-même fonctionne très bien :

Avec les accords simples (Dm7, G7, Cmaj7) :

Avec les accords enrichis (Dm9, G13, Cmaj9) :

Mais tendez l’oreille et vous entendrez un problème avec les accords enrichis et la mélodie…

Mélodie et accords simples :

Mélodie et accords enrichis :

Dm9 est un accord de Dm7 auquel on ajoute la note Mi. Or, la première phrase de la mélodie conclut sur Fa. Mi et Fa sont à un demi-ton de distance, ce qui peut provoquer une tension intéressante dans d’autres contextes, mais est très désagréable ici.

Pour moi c’est donc un bête accord m7 qui ouvre Les Feuilles Mortes. Je ne veux pas dire par là qu’il est faux de jouer autre chose. Je suis sûr que beaucoup de bons joueurs utilisent un autre accord sans problème. Si la mélodie est une octave plus haut ou a un timbre différent de l’harmonie, ça peut fonctionner.

Mais je conseille malgré tout m7 par pédagogie. Il faut toujours s’assurer note par note que l’harmonie que l’on tient d’une partition ou que l’on a repiquée à l’oreille fonctionne avec la mélodie.

Choisir ses altérations de dominante

Une autre tendance naturelle de celui qui apprend à jouer du jazz est de travailler ses ii - V - I majeurs et mineurs :

Dm7 G7 Cmaj7  %
Cm7 F7 Bbmaj7 %
etc.

Bm7b5 E7b9 Am6 %
Am7b5 D7b9 Gm6 %
etc.

Ce sont des suites indispensables à avoir dans les doigts, et que l’on peut travailler de quarte en quarte dans toutes les tonalités.

Mais, là encore, bien que le morceau soit “simple”, il faut faire attention à ne pas laisser ses doigts jouer de manière automatique.

A la fin du premier A, la grille indique Bm7b5 - E7, parfois même Bm7b5 - E7b9. Mais, sur l’accord de Mi, la mélodie passe par Fa#, soit la neuvième naturelle, note rare en mineur (où la neuvième est souvent altérée, c’est-à-dire bémol ou dièse). Impossible de jouer 7b9 quand bien même la partition le demanderait, on obtiendrait alors le même problème entre Fa# et Fa (la neuvième bémol) que l’on avait entre Fa et Mi plus haut :

Suite d’accords sans la mélodie, aucun problème :

Conflit entre la deuxième phrase de la mélodie et l’harmonie :

On peut en revanche sans problème jouer E7 :

Ou altérer la quinte (Si devient Do), ce qui ne produit aucun conflit avec la mélodie :

Conclusion

Les Feuilles Mortes n’est pas un morceau si simple que cela ! Pour jouer du jazz, il faut développer sa conscience harmonique. Un bon moyen de le faire est de jouer harmonie et mélodie en même temps. Je recommande personnellement le travail au piano car c’est un instrument qui permet de voir la musique, et surtout parce qu’il me plaît. Mais on peut aussi mettre le morceau sur papier (partition), chanter en s’accompagnant, s’enregistrer sur plusieurs pistes… Dans tous les cas, c’est du travail, mais le jeu en vaut la chandelle.

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